C’est quoi le contractualisme ?

 25 août 2022 : 6 minutes de lecture :

Serment du jeu de paume instaurant un nouveau contrat social

       Afin d’amorcer la première partie de notre cycle juridique, nous pensions qu’il était essentiel de revenir sur le contractualisme, un courant qui sera bien évidemment important de connaître avant de traiter de la notion justice. Le contractualisme peut être défini comme étant un courant de philosophie politique qui pose l'origine de la société comme un « contrat » entre les hommes, par lequel ceux-ci acceptent une restriction de leurs libertés, contre des lois permettant la bonne tenue de la société. Nous traiterons dans un premier temps des origines du contractualisme, avant d’analyser les grands contrats sociaux. Enfin, nous décrypterons les critiques, et les oppositions faites à ce courant. 

I - Origines 

A - l’Antiquité 

        Historiquement, avec le contractualisme, on rompt définitivement avec les théories politiques des deux pères de la philosophie, Platon et Aristote (voir l’article sur la Philosophie politique) . En effet, le livre IV de La République de Platon nous enseigne que la société doit être divisée en castes. Cela ne corrobore pas avec le concept de contractualisme qui nie les castes et prend la société dans son ensemble. Egalement, à travers le livre II de La Politique d’Aristote, nous apprenons que l’homme est un « zoon  politikon » (un animal politique). Ainsi, Aristote nie l’idée de contrat social renouvelable, car ce contrat serait intrinsèque à l’Homme. Certains philosophes comme Epicure se rapprochent davantage de l’idée de contractualisme. Epicure déclare en effet, que la justice est le fruit d’un « accord » ou d’un « contrat » entre les hommes (voire Maximes Capitales). 

B - Moyen Âge

        L’ère médiévale en Occident est marquée par l’omniprésence et l’omnipotence de Dieu. Les individus et les penseurs sont alors peu enclins à accepter le contractualisme. En effet, pour les courants philosophiques majoritaires de l’époque, le contrat social (même si ce terme est anachronique) est organisé, non pas par les Hommes, mais par Dieu. C’est de lui que découlerait par la suite l’ordre de la société.

C - Époque Moderne

Hugo de Groot

       A l’époque moderne, c’est Hugo de Groot dit « Grotius » qui théorise le contractualisme. Hugo de Groot est un philosophe hollandais né en 1583 et mort en 1645. Grotius étant juriste de formation, pour lui, le droit doit régir la société. Or, le droit peut être défini comme étant une règle idéale et légitime instaurant un arbitrage entre les Hommes. Le droit dicte ce qui est permis ou exigible, d'une personne, ou d'un groupe, pour que justice soit faite. Le Droit guide la justice, et donne des règles tirées de la raison, pour appuyer la justice. En fondant le contractualisme, Grotius écrit en 1625 :

« L'homme est, en effet, un animal, mais un animal d'une nature supérieure, et qui s'éloigne beaucoup plus de toutes les autres espèces d'êtres animés qu'elles ne différent entre elles. C'est ce que témoignent une quantité de faits propres au genre humain. Au nombre de ces faits particuliers à l'homme, se trouve le besoin de se réunir, c'est-à-dire de vivre avec les êtres de son espèce, non pas dans une communauté banale, mais dans un état de société paisible, organisée suivant les données de son intelligence, et que les stoïciens appelaient « état domestique ». Entendue ainsi d'une manière générale, l'affirmation que la nature n'entraîne tout animal que vers sa propre utilité ne doit donc pas être concédée. »

 

— Le Droit de la guerre et de la paix, prolégomène VI

        Pour Grotius, afin de bâtir cette société paisible et idéale, il faut la réguler avec des outils issus de l’intelligence humaine. L’idée de contractualisme naît alors. En faisant des « accords » grâce à son intelligence, l’Homme peut vivre dans sa société, et l’organiser.  

II - Les penseurs du contractualisme 

        Influencés par Grotius, des penseurs aux idées nouvelles émergent. Il existe trois grands philosophes du contractualisme, nous les présenterons ici par ordre chronologique. 

A - Hobbes

Thomas Hobbes

       Thomas Hobbes est né en 1588 et décédé en 1679. Il est un philosophe anglais dont l’œuvre majeure, Le Léviathan, a considérablement bouleversé la philosophie politique. Sa pensée est influencée par les violentes oppositions entre le Roi et le Parlement/Peuple de 1640. À travers Le Léviathan, il théorise le contrat social, mais également l’état de nature. Pour lui, le contrat social est sécuritaire. En effet selon Thomas Hobbes, « l’Homme est un loup pour l’Homme ». Il définit l’état de nature comme un conflit permanent. Le contrat social intervient donc pour assurer la sécurité. Pour ce faire, il doit annihiler certaines libertés individuelles. L’État rompt avec l’état de nature en restreignant les libertés et les droits de chacun, et ce, par la loi (d’où le lien avec la justice !). Ainsi, pour Hobbes, le contrat social sert à protéger. Il est encadré par la justice, le droit et la loi. Le contrat social hobbesien recherche la paix et la sécurité. 

B - Locke 

John Locke

       John Locke est un philosophe britannique né en 1632 et mort en 1704. Sa pensée est influencée par la fin des guerres de religions en Europe et la naissance du rationalisme. Certains le présentent également comme un précurseur des Lumières. Il développe sa vision du contrat social à travers son Second Traité du Gouvernement civil. Pour lui, le contrat social s’inscrit dans une démarche libérale. L’état de nature est caractérisé, selon lui, par la liberté individuelle et la propriété privée. Ce sont, pour Locke, des droits naturels. Le contrat social doit donc garantir ces droits naturels pour assurer les droits fondamentaux des individus. L’État est donc instauré pour préserver l’état de nature, ce qui peut constituer un paradoxe intéressant ! John Locke prévoit un droit de résistance aux abus de l’État, lorsqu’il met en péril la liberté et la propriété, qu’il est censé sauvegarder. Locke ne targue pas son contrat social de garantir la paix et la sécurité comme le disait Hobbes. Il pense qu’un contrat social doit se contenter de limiter les conflits. 

C - Rousseau

Jean-Jacques Rousseau

      Jean-Jacques Rousseau est un philosophe genevois né en 1712 et mort en 1778. Sa vision de l’état de nature est complexe. Pour lui, l’homme est plutôt bon, mais sa bonté est compromise par la société. On dit que « la société corrompt l’homme ». Le contrat social, tel qu'il est théorisé dans Du Contrat Social, a pour but de rendre le peuple souverain, et de l’engager à abandonner son intérêt personnel pour suivre l’intérêt général. Il s’inscrit dans une démarche démocratique. Le contrat social rousseauiste est davantage proche du contrat hobbesien en ce qu’il vise lui aussi à briser l’état de nature. Cependant, à la différence d’Hobbes et de Locke, le contrat social de Rousseau ne charge pas une entité supérieure de la préservation des libertés de chacun, mais donne la responsabilité aux citoyens eux-mêmes de cette sauvegarde. Eux seuls ont le pouvoir d’instituer ou de destituer une loi ou un monarque par leur volonté générale.


        Avant de clore cette partie, il est important de préciser que les trois philosophes précédents ont prévu des barrières aux failles du contractualisme. Ainsi, que ce soit chez Hobbes, Locke ou Rousseau, lorsque le contrat social va à l’encontre des intérêts fondamentaux (Précisés par chaque philosophe ; liberté, sécurité, démocratie, etc.) alors, les citoyens ont le droit d’aller « contre les lois » et de se soulever contre ce contrat social injuste. Nous revenons ici à notre notion de Justice. Attention néanmoins, le souverain chez Hobbes possède une quasi-omniscience, ce qui le rend plus apte que les autres à choisir. Ainsi, il est plus difficilement renversable, car considéré comme plus sage. 

        Pour vous aider à retenir tout cela, voici un petit tableau récapitulatif honteusement volé. 



III - Les critiques faites au contractualisme

        Les critiques faites au contractualisme sont nombreuses. D’un coté, l'Église catholique critique la place prépondérante du droit de propriété dans le contractualisme lockéen. De l’autre, certains intellectuels, comme l’historien israélien Jacob Talmon, (né en 1916 et mort en 1980) voit dans les idées d’Hobbes et de Rousseau une volonté d’imposer un régime « totalitairement démocrate ou sécuritaire ». 

        En guise de conclusion, nous pouvons dire que le contractualisme est une des clefs de voûte de la justice, car il fonde l’idée de responsabilité en communauté. Plus que cela, le contractualisme donne un cadre juridique, avec sanction et dédommagement, afin de permettre une vie en société plus libre, démocratique ou sécuritaire. La structure du contrat social est donnée par la loi, une construction humaine, et cela parachève le contrat social comme étant profondément humain. Nous pourrions à présent nous demander, si, comme l’Homme agit sans retenue sur la nature, il ne faudrait pas compléter le contrat social afin que celui-ci devienne un contrat naturel, instaurant en plus d’un respect d’homme à homme, un respect d’Homme à nature ?


Merci de votre lecture, 




Sources : 

-Wikipédia

-la-philosophie.com

-Léviathan de Hobbes

-Contrat Social de Rousseau 

-Contrat naturel de Michel Serres 


Illustrations : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Hobbes#/media/Fichier:Thomas_Hobbes_(portrait).jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Locke#/media/Fichier:JohnLocke.png

https://www.google.fr/search?q=grotius&client=safari&hl=en-gb&sxsrf=ALeKk00LzOKPd7jA4FN2V_GzKrZeEm-Ikg:1629908385754&tbm=isch&source=iu&ictx=1&fir=wccjunoqWy7CeM%252CUrQPUVJSwHPOxM%252C_&vet=1&usg=AI4_-kTY7q1x_YFQz4xCaXkqzi-5CXLZjg&sa=X&ved=2ahUKEwj0keXyyczyAhWIyoUKHaCaBIgQ_h16BAhMEAE&biw=1366&bih=917#imgrc=wccjunoqWy7CeM

https://la-philosophie.com/contrat-social-rousseau-resume


https://fr.wikipedia.org/wiki/Hugo_Grotius#/media/Fichier:Michiel_Jansz_van_Mierevelt_-_Hugo_Grotius.jpg





        

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